dimanche 14 novembre 2010

Dans une bulle d'air...

Déjà depuis le tout début, j'avais pris un mauvais départ.
Ma naissance, bien que disparaissant dans les méandres de ma mémoire défaillante, fut un échec. Je n'ai survécu que grâce à l'intervention de la technologie contemporaine et aux compétences de ces blouses banches dont le métier était de sauver des vies. Ils sauvèrent la mienne.

Mon enfance avait également été bercée dans les problèmes. Étant incapable de détacher mon regard du ciel, je me blottissait dans un énigmatique silence que personne ne pouvait briser. Pendant longtemps, je ne parlais pas. J'étais un être obscur pour ma propre famille, et c'est sans doute à cause de toute cette indifférence qu'un jour ensoleillé, personne ne se doutait que mon délire ferait un pas de plus.
Une jolie matinée, où les sourires et les jeux ne m'atteignaient pas, puisque je n'entendait que les piaillements des oisillons rappelant à leur mère l'existence impétueuse de leur estomac.
Heureusement pour moi, la fenêtre d'où j'étais tombé n'était pas très haute, et en dessous m'attendait tranquillement un nuage de narcisses. Rien ni personne n'aurait pu empêcher ma soudaine envie de me transformer et de rejoindre ces petits merles avec qui je partageais l'amour du soleil et du vent.
Un poignet et une jambe cassés.
Ce n'est qu'à partir de ce jour que je reçu une attention particulière de la part des adultes inquiets de tout et de rien, surveillant constamment mes jeux de petit être inconscient.

Grâce à cette petite mésaventure, j'ai pu comprendre très vite que si moi je saute, je finirais toujours par retomber dans des narcisses. J'ai voulu renouveler mes expériences jusqu'à acquérir également la notion de gravité, et l'absurde fait que même en sautant de haut, la chute reste inévitable, et le sol accueillera toujours mon corps à l'atterrissage.

J'ai été un adolescent sombre et triste. Si j'avais accepté de ne pas être un oiseau depuis quelques temps, le monde n'avait pas de couleur. Seul le ciel et ses bienheureux voyageurs se reflétait dans mon regard admiratif et jaloux. Mais finalement, pour toutes les autres choses, on aurait pu me décrire comme quelqu'un d'insignifiant, de transparent, d'inexistant. Mes parents ( ma famille ) avaient beau de soucier de moi à la façon de parents anxieux, mon obsession était telle que les nombreux psychologues consultés la qualifièrent d'indestructible, d'ineffaçable. La seule chose qui me gardait éveillé et qui empêchait un total désintérêt de mon environnement ?

Je n'étais pas non plus fait pour les responsabilités d'un adulte. Incapable de travailler, peut-être handicapé mental, incapable de faire quoi que ce soit de ma propre volonté, ce sont mes vieux parents qui avaient encouragé la prise de conscience du monde du travail et de l'argent. Ils m'avaient offert un appartement, bien qu'ils soient trop angoissés à l'idée de me laisser seul dans un univers qui m'était vraisemblablement inconnu.
Et c'est surement pour toutes ces raisons, et tant d'autres, que cette fois encore, j'étais sur le toit de mon immeuble, sans m'en être rendu compte, cherchant instinctivement l'altitude.

Et c'est cette vie inutile que je revis dans ma tête à cet instant précis. A cet instant précis, pourtant, je n'avais déjà plus la moindre idée de qui j'étais. J'ai oublié mon nom aussi vite que le vent se mit à souffler dans mon dos. Je reconnu à peine la panique alors qu'une averse de larmes ravala mon visage, comme un million de perles de cristal qui se briseraient sur les rochers de mon ignorance et de mon existence sur le point de s'effacer complètement.

Pour moi, ce n'était pas très compliqué : j'avais la sensation que des plumes recouvraient petit à petit l'homme que j'avais été pour qu'enfin j'accède à mon rêve. Il est si agréable de sentir le vide sous soi, si grisant de jeter un dernier regard sur ce qu'il y a en bas pour ne plus que lever les yeux vers les astres, de déployer ce qu'il reste de moi pour qu'enfin je puisse hurler de toute mon âme.

****

Madame Tori était à peine remise de la mort prématurée de son imbécile de fils inadaptable en société qu'il fallait qu'elle subisse maintenant les appels des voisins qui présentaient inlassablement leurs condoléances les plus " sincères ", ce qui lui était particulièrement douloureux. Alors que durant toute la vie de son petit, elle avait dû répondre avec sang froid à la rumeur du fou qu'elle avait élevé tant bien que mal.

Dans le besoin urgent de s'isoler, la vieille femme fatiguée s'était mise en tête de ranger la chambre que le défunt occupait dans sa jeunesse. Plus elle fouillait dans les souvenirs, plus son cœur se serrait. Elle versa même une énième larme en lisant des mots, gravés sous le tapis, à jamais inscris, tragiquement, sous la fenêtre.

On était en novembre, sous un soleil embarrassé qui rougissait dans ses derniers rayons de la journée.




" Si un jour je pouvais crier : " Je vole !", je voudrais avoir des ailes pour me prouver que je ne rêve pas. "

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